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VI – Senneville vers 1900

Grâce aux documents assez nombreux (Photos, cartes postales anciennes, objets), grâce aux souvenirs aussi des "anciens", nous allons essayer d’évoquer le Senneville du début du siècle.

Senneville a alors 187 habitants (la commune en a 671). La population est en légère baisse, car, surtout depuis que la voie ferrée existe, des Sennevillois vont s’installer à Paris. La population augmentera quand le mouvement inverse deviendra assez important, et surtout lorsque l’installation d’usines dans la vallée de la Seine fixera la population en lui donnant des emplois. Aujourd’hui, nous faisons partie de la grande banlieue parisienne.

Voici la liste des habitants de Senneville vers 1900.

Celle-ci a pu être reconstituée grâce à un Sennevillois dont la mémoire est très fidèle.

Rue Saint-jean (nom actuel)              nombre de personnes

n°2       Louis Boulland et sa mère Thaïs                ferme     2
n°4       Auguste Drouet et sa femme                    ferme     2
n°6       Ernest Lambert et sa femme (bretonne)     ferme     2
n°8-10  Emile Nogrette et sa femme                     ferme     2
n°12     Madame Divari                                                   1
n°1       Victor Thévenon, sa femme et ses enfants             6
n°3       Adolphe Lacroix                                                 1
n°5       André Beaucher et sa femme                   ferme     4
n°7-9    Edouard Boulland, sa femme et ses fils      ferme     4

Rue Maurice Donnay

n°2       Arthur Lambert
n°3       Madame Maria Volland                                        1
n°5-7    Madame Sausset                                               1

Rue des Fillancourts

n°2       Joseph Thévenon, sa femme et son fils     ferme     3
n°4       maison inhabité à Erneste Volland
n°5       Mr Aubin et sa famille                                         6
n°8-10  n’existes pas
n°12     grange de Lucien Gautier
n°14     n’existe pas     
n°16     Ernest Dutertre                                     ferme     3
n°22     Laurent Volland et sa femme                    ferme     2
n°1      Charles Heinemann, sa femme et sa fille (parisiens)     3
n°3      Ernest Volland, sa femme et sa fille            ferme     3
n°5      Madame Veuve Volland et ses fils                           3
n°7      Mr et Mme Isnardon                        (parisiens)       2
n°11     Désiré Beaucher, sa femme et
           Mme Veuve Dutertre                               ferme     3

Rue des Trois-Cornets

n°2     Louis Cosson, sa femme et ses enfants        ferme     4
n°4     Henri Beaucher                                                    1
n°8     Aubin                                                                 2
n°14    Etienne Turpin, sa femme et ses enfants     ferme     6
n°1-3  Henri Beaucher, sa femme et ses enfants     ferme     6
n°5     Isaïe Robillard                                                      1
n°9     Gustave Gautier et sa femme                     ferme     2

Rue Charitable

n°2     Madame Marie Heinemann                                      1
n°1-3  Mme Veuve Heinnemenn, Mr et Mme Astier
           et leur fille (instituteurs parisiens)                          4
n°5     Mr Chambrier, sa femme et ses enfants        ferme     5

Rue des Costières

Louis Drouet et sa femme                                    ferme     2

Rue des Plantes

n°1     Arthur Gautier et sa femme                        ferme     2
n°3     Isidore Gautier et sa femme                       ferme     2

Rue des Canteloups

Mr Advielle, sa femme et ses enfants                                6

Impasse de la chapelle

école jusqu’en 1891, ensuite à André Beaucher

Rue des Moulins

n°2     Clément Gautier, sa femme et ses fils          ferme     5
n°4-6  Boutry (2 personnes employés à la culture)               2
n°3     maison inhabité à Clément Gautier 
n°9     moulin Thévenon , non habité

Rue de la Ballanderie (ancienne rue Champ large)

n°3     Lambert                                                 ferme     2
n°5     André Dutertre, sa femme et son fils           ferme     3
n°7     Aimé Cosson et sa femme                         ferme     2
n°4     J. Gascoin, sa femme et ses enfants                       6
n°6     Arthur Lambert et sa femme                                  2
n°10   Maillet, sa femme et ses enfants                            7
n°18   Mme Veuve Lecomte                                            1
n°20   Gustave Tétréau, sa femme et sa fille          ferme    3

Rue des Amillardes           

n°2     Mme Derrien                                                      1
n°4     P. Ferret, sa femme et ses enfants                        4
n°1     maison inhabitée à Joseph Thévenon
n°10   Madame Mathias                                                 1
n°12   Rouet et sa femme                                              2

Rue des Roches

Madame Monnet                                                           1
Alexandre Glairot et sa femme                             ferme     2

Rue des Larris

pas d’habitation

Rue de la Liberté

n°2     Jourdaney, puis Lucien Gautier,
          sa femme et une employée                        café      3
n°4     Urbain Dini et sa femme
          (professeur retraité résidant à Enghien)                   2
n°6     Mme veuve Honorine Thévenon                              1
n°8     Adolphe Lacroix, sa femme et ses enfants    ferme     6
n°1     Drouet, sa femme et ses enfants       café-épicerie    4
n°3     Louis Cosson (maison en location)
n°5     Frédéric Thévenon, sa femme et ses enfants            4
n°7     Robert Lecomte                                                   2
n°9     école – logement de l’instituteur                             2

Ainsi, en 1900, Senneville vivait surtout de l’agriculture. Il y avait alors 27 fermes, alors qu’il n’y en a plus que 7 aujourd’hui.


…L’agriculture…             

Des renseignements assez nombreux nous sont donnés par les deux monographies réalisées par des instituteurs. L’une fut faite en 1894 par Emile Reyboulet et peut-être consultée à Guerville ; l’autre, rédigée par P. Debras, est déposée aux Archives Départementales à Versailles. Elle date de 1899.

Voici les principales cultures sur l’ensemble de la commune en 1899 :
Rendement moyen par hectare

200 ha de blé                             33 q et 5000 q de paille
200 ha d’avoine                          22 q et 3900 q de paille
32 ha de seigle                          14 q et 650 q de paille
30 ha d’orge                              18 q et 420 q de paille
45 ha de pommes de terre           150 q
34 ha de betteraves fourragères   450 q
2 ha de choux
50 ha de trèfle sainfoin               40 q
9 ha de prairie naturelle              50 q
40 ha de vigne                          35 hectolitres

Le chanvre qui avait été très important dans la vallée a entièrement disparu, mais il y a encore, en 1899, 12 hectares de chardon à fouler ; cette culture a été faite en plus grand autrefois, mais la baisse du prix a réduit la superficie cultivée (en 1884, il y avait 25 ha de chardons ou "cardières"). A ce sujet, voici les paroles textuelles d’un habitant de Senneville :

"Monsieur, c’est la culture du chardon qui a fait la fortune et la prospérité de Senneville".

Bien sûr cette phrase, rapportée par Mr Debras, n’est pas tout à fait exact. Le chardon était utilisé par les industriels d’Elbeuf (pour la laine).

Il y avait alors 160 chevaux et 350 vaches. Les jeunes bêtes étaient presque toutes achetées dans les foires ; on ne faisait alors dans toute la commune que trente "élèves" par an. Les porcs étaient nombreux. Dans toutes les fermes, on élevait de la volaille et des lapins. Œufs, volaille, étaient vendus au marché du mercredi à Mantes. A Senneville, il y avait 3 ou 4 ânes.       

Vers 1903, une culture est très prospère : celle des prunes de la "Madeleine", puis "Reine-Claude" et "Goutte d’Or". Elle est faite dans les "clos" autour des maisons. On cueille les prunes encore vertes et on les expédie vers l’Angleterre… 2000 paniers environ étaient expédiés par des commissionnaires. Les pommes de terre étaient, aussi, souvent vendues en Grande-Bretagne.
Les pommiers étaient nombreux ; on faisait du bon cidre ; les "anciens" connaissaient toutes les finesses du cidre bouché.

20 Le coteau des Roches en 1895   21 Les Roches vers 1900

La vigne tient un rôle particulièrement important. Senneville était encore un pays de vignerons. Au XVIIIème siècle, les vignes couvraient tous les coteaux ; ce n’est plus vrai vers 1900. Les roches ne sont plus occupées par les vignes comme nous le montre une photo de la fin du XIXème siècle. Sur cette photo, nous remarquons que les cultures montaient plus haut qu’actuellement et que les champs étaient très morcelés.
L’instituteur, P. Debras, nous dit à ce propos : "la génération actuelle s’est préoccupée de cette situation. Les partages ne morcellent plus la propriété et, par voie d’acquisitions ou d’échange, on essaie d’obtenir les parcelles limitrophes.

Vers 1900, la vigne est encore importante sur le coteau de Fresnel, Gros-Moulu. Certains Sennevillois ont encore des vignes sur le versant Seine (du côté de l’actuelle carrière Lambert) lors des vendanges, il fallait faire un long détour…

En 1899, le phylloxéra n’a pas encore atteint Senneville, mais le mildiou attaque les plantations ; on le combat par des sulfatages et des soufrages. Les variétés cultivées devaient être surtout le gamay et un peu le meunier… 40 hectares sont encore plantés en vignes en 1899 sur l’ensemble de la commune.

L’outillage des vignerons sennevillois semble à peu près le même que celui utilisé dans le reste de la région.

Nous avons essayé d’en rassembler certains éléments.
Le travail pénible, la vente irrégulière, la concurrence d’autres régions, la raréfaction de la main-d’œuvre, le phylloxéra, entraînèrent la disparition de la vigne autour de la première guerre  mondiale ; on replanta, mais en variétés américaines ; on abandonna les coteaux ensoleillés, mais difficiles à travailler.

Aujourd’hui, Senneville n’est plus un pays de vignes, mais certains Sennevillois se sentent encore vignerons dans l’âme et vous pouvez encore goûter des "crus sennevillois"…

Les fermes étaient parfois encore couvertes de chaume ; elles sont, heureusement, souvent restées très proches de ce qu’elles étaient, et vous identifierez facilement les fermes suivantes.

22 Ferme Thévenon vers 1905   23 La Chapelle, la mare, les fermes Boulland et Beaucher 

24 Toiture en chaume, ancien chemin de Guerville   25 Ferme Gautier

En 1900, quelques activités industrielles existent déjà à Senneville.

Depuis longtemps, on extrait des pierres de carrières installées surtout au pied de Fresnel. C’était d’ailleurs les cultivateurs qui extrayaient cette pierre (une société pour l’extraction avait fait faillite). Cette pierre était vendue à des entrepreneurs de paris ; elle servait surtout pour faire les bords des trottoirs, les caniveaux.

Une expédition exceptionnelle eut lieu en 1900 à l’occasion de l’Exposition Universelle.

En 1895, s’installe sur la commune l’usine des Ciments Français. Il parait que c’est cette usine qui fournit une grande quantité du ciment employé pour la construction du pont Alexandre III à Paris.
A la fin du siècle, un certain nombre de Sennevillois travaillent déjà à la "Cimenterie", comme l’on dit.
La grande industrie a donc fait déjà son apparition dans notre secteur, mais les usines ne se développent vraiment dans la région mantaise qu’après la première guerre mondiale.

P . Debras, parlant de l’avenir possible de la commune en 1899, écrivait ceci : "la commune ne doit pas souffrir du dépeuplement des campagnes et si la culture se trouvait quelque peu délaissée, ce serait au profit de l’industrie créée sur son territoire". Et il ajoutait : "La halte qu’elle est sur le point d’obtenir des Chemins de fer de l’Ouest peut transformer sa grande culture en culture maraîchère". Cette halte ne fut jamais réalisée et, plus tard, ce fut la route et non le rail, qui contribua à transformer la vie des Sennevillois.

Le commerce était représenté par des cafés-épiceries qui vendaient un peu de tout. Avec les lavoirs, c’étaient les lieux de rencontre. Un café existait encore aux Trois-Cornets. Il disparut au début du siècle. Un maréchal ferrant était encore installé sur la place et l’on trouvait les principaux artisans nécessaires à la vie du pays : charron, maçon…  depuis une quinzaine d’années, on ne tissait plus le chanvre à domicile. On vendait les produits agricoles surtout à Mantes et on faisait les achats dans cette ville, le mercredi, jour de marché.

L’eau était particulièrement abondante à Senneville. Grâce à de nombreuses sources et lavoirs, Senneville ne rencontra jamais les difficultés existant dans d’autres villages. A Arnouville, par exemple, les femmes allaient faire le lessive à Leuze, à 3 ou 4 km de leur domicile.
L’eau permettait le fonctionnement de plusieurs moulins.

Le moulin des Gois (1782, on écrivait Gouets) était alimenté par les eaux du ru de Senneville. Un véritable étang existait, parait-il, dans la vallée, un peu avant la jonction de la route de Senneville et celle de Guerville allant vers Mantes. Ce moulin était un moulin à moutarde. Il fut très prospère jusqu’en 1860, puis son activité disparait, et il fut détruit. Il en reste aujourd’hui un pan de mur en ruine.

Les autres moulins étaient des moulins à farine, installés dans la "rue des moulins". A la fin du siècle dernier, trois moulins fonctionnaient. L’eau de la fontaine Saint-Jean était captée dans un bassin de retenue jusqu’à midi, puis, de midi jusqu’au lendemain matin (pendant huit heures environ), elle faisait marcher les moulins.

L’eau de la fontaine des roches était aussi captée et renforçait l’arrivée d’eau provenant de la fontaine Saint-Jean, mais c’était une activité en déclin ; les moulins ne survivaient que parce que les meuniers étaient cultivateurs.

26 Haut de la côte des 3 moulins    27 Ancien moulin Gautier

28Bas de la côte des 3 moulins (ancien moulin Thévenon)    29 L’ancien moulin à moutarde au lieu-dit "Les Gois"

 

…Les Fêtes…

A Senneville, les principales fêtes  "chômées" étaient les deux Saint-Jean (24 juin et 27 décembre), il y avait aussi fête le 15 août et à Pâques.

A Guerville, les jours de fête étaient plus nombreux : la Saint-Vincent, la Sainte-Julienne, la Saint-Pierre et la Saint-Martin, le 15 août et Pâques.

Mais les Sennevillois étaient très "boute en train" si l’on en croit les photos du Carnaval de la commune. Ce carnaval n’eut lieu qu’une seule fois entre 1901 et 1903 et l’on y reconnait déguisés de très nombreux Sennevillois.

On chantait aussi, on dansait et le dimanche, parfois, on faisait une promenade en voiture, à Rangiport par exemple.

30 Promenade en voiture à Rangiport en 1907    31 Navettes et bonnets de Senneville

L’habillement sennevillois n’avait rien de très particulier, si ce n’est le bonnet que portaient les femmes, mais vers 1900, beaucoup l’avaient déjà abandonné. Comme partout, on filait à la maison, on tissait également de bonnes toiles bien solides. Navettes, rouet, toile, bonnets ont pu être retrouvés dans certaines familles. Les petites filles faisaient  à l’école de ravissantes tapisseries…

…Et l’on parlait un patois savoureux…

32 Patois sennevillot : "à s’pièche"    33 Patois : "il tombe de la crassine, rentre la lapette"

 

…Au hasard des souvenirs…

Saviez-vous qu’à Senneville, au début du siècle :

  • On fêtait déjà le 14 juillet par un « casse-croûte" l’après-midi, mais alors on offrait toujours de l’andouille, et le vin était livré par Champémont, marchand à Mantes, dont le cheval connaissait si bien le trajet qu’il s’arrêtait tout seul devant les cafés. Le soir, il y avait la retraite aux flambeaux.
  • Un remonteur d’horloge venait une fois par mois remonter et vérifier les horloges. Il posait rituellement la question : "elle march’t’y core" et se mettait au travail.
  • Un marchand de harengs surnommé "hareng frais" (les Sennevillois aimaient beaucoup les surnoms) venait une fois par semaine en sabots, avec une brouette remplie de harengs. Les chats connaissaient son passage et une chatte "Cretonne" était experte dans le vol.
  • On pouvait alors tuer 7 à 8 lièvres dans son après-midi. Il est vrai qu’il y avait au maximum une vingtaine de fusils dans la commune.
  • On faisait alors du raisiné de la façon suivante : mettre les prunes de préférence (mais on peut mélanger avec d’autres fruits) dans un chaudron en cuivre ; faire cuire très doucement du matin jusqu’à 6 heures du soir sans laisser attacher ; la cuillère doit tenir "droit dedans" ; c’est délicieux…
  • On faisait encore des veillées ; on y triait des haricots ; on y faisait le "fantôme" ; on y chantait ; on y potinait….
  • Un gosse n’allait jamais à Paris, sauf s’il était gravement malade ; et encore fallait-il que quelqu’un "habitué" l’y emmenât et payât la visite. Une visite coûtait 6 Francs à Mantes, 50 Francs à Paris, nous a-t-on raconté. Il allait cinq ou six fois par an au marché à Mantes et descendait à pied, absolument tous les ans, le jour de la fête à Mantes, le 15 août.