<< < page 3 > >>

II – Le haut Moyen-Age : le polyptyque d’Irminon    


Nous avons la chance d’avoir une description très complète de la condition paysanne à Senneville au VIIIème
siècle grâce au polyptyque d’Irminon.

Un polyptyque est un registre énumérant tous les biens possédés par l’Etat, par les églises ou les abbayes.
Or, l’abbé de Saint-Germain-des Prés à Paris, qui s’appelait Irminon (1) fit établir en 811 une liste de tous les
biens appartenant à la très riche et célèbre abbaye.

Parmi les biens de l’abbaye parisienne, figurait le domaine de Saint-germain de Secval (désigné sous le nom de
Sicca Valle) qui était situé à l’emplacement de l’actuelle chapelle du même nom, qui est très postérieure
puisqu’elle date du XIIème siècle.

A Saint-Germain de Secval était installé le manse seigneurial ; un manse est une sorte de ferme à laquelle est
attachée à perpétuité une quantité de terre déterminée ; cette exploitation, ou manse seigneurial, commande
à d’autres manses d’une classe inférieure qui sont cédés en tenures.

A Saint-Germain, il y avait 17 manses. A Senneville, appelé Semodi Villa, 12 manses (signalons que les
spécialistes ne sont pas absolument certains que Semodi Villa désigne Senneville ; c’est toutefois très
probable). A Fresnel (Fraxinello) 6 manses. A Boinville (Bovani Villa) 27 manses. A Arnouville (Arnovi Villa) 9
manses.

(1)  Le personnage est peu connu : on ne sait presque rien de sa naissance, ni de son éducation, et
l’on a peu de renseignements sur sa vie publique.. Il figure au nombre des souscripteurs du
testament de Charlemagne ; il était donc un personnage important à la cour de celui-ci. Il fut abbé
de Saint-germain des prés à partir de 811 (une des plus grandes abbayes de France fondée en 543 par
Childebert). Irminon fit dresser l’état des biens et des revenus monastiques de Saint-Germain.
Il s’intéressait à l’agriculture : il fit planter de la vigne à Secval et ailleurs, et fit défricher des terres.
Il meurt probablement en 819.

8 Polyptyque de l’abbé IrminonPolyptyque de l’abbé Irminon

Ce texte, très précieux pour les  historiens, nous donne de très nombreuses précisions.

Il nous renseigne sur les terres. En tout, le domaine de Secval comprenait :

  • 120 borniers de terre à blé (un bornier représentait à peu près 128 ares), Irminon en fit défricher 60.
  • 70 arpents de vigne (1 arpent = 12 à 18 ares), Irminon en fit planter 30. La région était donc déjà une
    région de vignobles ; on obtenait alors, à partir de 70 arpents de vigne, 300 muids de vin (1 muid = 52
    litres environ).
  • 17 arpents de pré donnent 20 charretées de foin par an.
  • 12 borniers de forêt permettaient l’élevage de 50 porcs.

Il y avait deux église (l’une à Saint-Germain, l’autre dans un lieu non identifié, désigné sous le nom de Portus)
et 7 vieux moulins ; Irminon en fit construire deux autres.

Le polyptyque nous renseigne également sur les hommes.
Ainsi, à Semodi Villa (Senneville), il n’y avait que des colons.
C’est une condition mixte : le colon est plus libre que le serf ; il contracte un véritable mariage ; il transmet
son bien à son fils, mais il ne peut vendre sans l’autorisation du seigneur ; si le maître vend la terre, le colon
est vendu avec.
Les colons fugitifs sont considérés comme "voleurs" de leur propre personne ; repris, ils peuvent être réduits à
l’état de servage.
A Senneville, un serf est marié à une "colonne".
Les colons cultivent leur exploitation (un manse) et paient des impôts.
Ceux-ci varient selon l’importance de l’exploitation.

A Senneville, tous les colons paient les mêmes redevances que voici :
" Il doit pour l’hoste (armée), la première année un demi-bœuf, la deuxième année deux moutons, la troisième
année une brebis d’un an, et tous les ans deux muids de vin, deux sesterces (monnaie d’argent) de perches
et toutes les troisièmes années cinquante bardeaux (tuiles) de bois ; s’il a un bois, il en doit cent, et s’il n’a
pas de bois, pas plus de cinquante.
Il doit trois poules, quinze œufs et un poulet en cadeau.
Il fera chaque semaine une corvée avec autant d’animaux qu’il a.
Il labourera chaque hiver quatre perches, quatre perches à chaque printemps et il fera à chaque saison trois
corvées : une pour l’abbé, une pour le prévôt, une pour la justice."
(texte d’après l’édition Longnon)

A Arnouville, par exemple, certains colons ayant des domaines plus petits payaient moins et à Secval, deux
"riches" devaient, l’un donner un cheval et en nourrir un autre, l’autre seulement nourrir un cheval.

Nous avons aussi le nom de tous les colons, ceux de leurs femmes et des enfants :

  • Hildevert, colon et sa femme, colonne, nommée Gerlinde ; voici leurs enfants : Arlaix, Hildevilde, Germond.
  • Ermengarde, colon, et sa femme Restevilde. Leurs enfants : Ermenulfe, Bénigne, Adalhaire, Ermine, Ermengilde, Alclilde.
  • Ranegarde et sa femme Aldine ; les enfants : Frotger, Gunther, Gontran, Alcide, Raimbourg, Ermengarde.